Attestation
Paroles d’Endubsar, fils de la ville d’Eridu, serviteur du grand dieu le seigneur Enki.
Le septième jour du second mois de la septième année qui suivit la Grande Catastrophe, je fus convoqué par mon maître le seigneur Enki, grand dieu, créateur bienveillant de l’Humanité, omnipotent et magnanime.
Je faisais partie des survivants d’Eridu, de ceux qui avaient fui dans les steppes arides alors que le Vent Mauvais approchait de la ville. Je m’étais éloigné dans le désert à la recherche de brindilles sèches pour le feu. En relevant la tête, j’aperçus un Tourbillon venant du sud. Il dégageait un éclat rougeâtre et se déplaçait sans bruit. Lorsqu’il attegnit le sol, quatre pieds raides émergèrent de son ventre et l’éclat disparut. Je me jetai au sol et me prosternai, sachant qu’il s’agissait d’une vision divine.
Lorsque je relevai le regard, deux émissaires divins se tenaient à mes côtés. Ils avaient des visages humains et leurs vêtements étincelaient comme du cuivre bruni. Ils prononcèrent mon nom et s’adressèrent à moi en ces mots: « Le seigneur Enki te convoque. Ne crains rien, c’est un honneur. Nous sommes venus te chercher pour te conduire à sa retraite sur l’île de la rivière qui traverse le pays de Magan, là où se trouvent les vannes. »
Alors qu’ils parlaient, le Tourbillon se souleva comme un char enflammé et disparu. Ils me prirent chacun par une main et me soulevèrent, me transportèrent entre la Terre et les cieux. Nous volions aussi vite qu’un aigle.
Je pouvais voir le sol, l’eau, les plaines et les montagnes.
Ils me posèrent à terre sur l’île, à l’entrée de la demeure du grand dieu. À l’instant où ils lâchèrent mes mains, je fus enveloppé par un éclat éblouissant comme je n’en avais jamais vu. Je m’effondrai au sol comme si la vie m’avait quitté.
À l’appel de mon nom, je retrouvai mes sens. J’avais l’impression de me réveiller du plus profond des sommeils. Je me trouvais dans une sorte d’enceinte. Il faisait sombre, mais je pouvais également distinguer une aura. Mon nom fut appelé à nouveau, par la plus grave des voix. Bien que je puisse l’entendre, je ne parvenais ni à déterminer d’où elle venait, ni à voir celui à qui elle appartenait.
– Je suis ici, dis-je.
La voix me répondit:
– Endubsar, fils d’Adapa, je t’ai choisi pour scribe, pour que tu reportes mes mots sur les tablettes.
D’un seul coup, un éclat apparut dans une partie de l’enceinte et je distinguai un coin organisé
comme l’atelier d’un scribe: table, tabouret, et pierres taillées de qualité sur la table. Mais je ne voyais ni tablettes d’argile ni quoi que ce soit qui contienne de l’argile humide. Sur la table était posé un stylet, que cet éclat faisait luire comme aucun stylet de roseau n’a jamais lui.
La voix reprit, disant:
– Endubsar, fils de la ville d’Eridu, mon fidèle serviteur. Je suis Enki, ton seigneur. Je t’ai convoqué pour écrire mes paroles. Le sort que l’Humanité a connu lors de la Grande Calamité me bouleverse profondément. Écrire ce qui s’est vraiment passé pour que les dieux comme les hommes sachent que mes mains ne sont pas entachées, tel est mon vœu. La Terre, les dieux et les Terriens n’avaient pas connu de telle catastrophe depuis le Grand Déluge. Le Grand Déluge était écrit, la Grande Calamité ne l’était pas. Rien de tel ne devait se produire il y a sept ans. Nous aurions pu l’éviter. Moi-même, Enki, ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour l’empêcher. Hélas, j’ai échoué. Était-ce le sort ou le destin? L’avenir le dira, puisqu’à la fin des jours viendra le jour du Jugement Dernier. Ce jour-là, la terre tremblera et les rivières dévieront leur cours. Il fera nuit à midi et le ciel nocturne sera en feu, ce sera le jour du retour du dieu céleste. Qui survivra et qui périra, qui sera récompensé et qui sera puni, hommes et dieux le découvriront ensemble ce jour-là. Les événements du futur sont déterminés par ceux du passé, le destin suit un cycle qui se répète. C’est le sort, les choix que nous avons faits dans notre cœur pour le meilleur ou pour le pire qui seront jugés.
La voix se tut. Puis le grand dieu se remit à parler, disant:
– C’est parce que le futur se cache dans le passé que je vais te raconter ce qui s’est vraiment passé au Commencement, dans les Temps Premiers et dans les Temps Anciens. Pendant quarante jours et quarante nuits, je parlerai et tu écriras. Ta mission durera quarante jours et quarante nuits, parce que quarante est mon nombre sacré parmi les dieux. Pendant quarante jours et quarante nuits, tu ne devras ni boire ni manger. Tu ne dois absorber que cette portion de pain et d’eau, qui te donnera assez de forces pour la durée de ta mission.
La voix marqua une pause, et d’un seul coup, un éclat apparut dans une autre une partie de l’enceinte. Je vis une table, sur laquelle étaient posées une assiette et une tasse. Je m’en approchai. L’assiette contenait du pain et la tasse de l’eau.
La voix du grand seigneur Enki s’éleva à nouveau:
– Endubsar, mange ce pain et bois cette eau. Tu n’auras besoin de rien d’autre pendant quarante jours et quarante nuits.
Je m’exécutai. Ensuite, la voix me demanda de m’asseoir à la table scribale, dont l’éclat s’intensifia. Je ne pouvais voir ni porte ni ouverture là où je me trouvais, et pourtant l’éclat était aussi fort que le Soleil de midi.
Et la voix dit:
– Scribe Endubsar, que vois-tu?
Je regardai le rayon qui éclairait la table, les pierres et le stylet.
– Je vois des tablettes de pierre d’un bleu aussi pur que celui du ciel. Je vois aussi un stylet comme je n’en ai jamais vu. Sa tige ne ressemble à aucun roseau et son extrémité a la forme d’une serre d’aigle, répondis-je.
Et la voix dit:
– Ce sont les tablettes sur lesquelles tu écriras mes mots. Elles furent taillées sur mes ordres dans le lapis-lazuli le plus pur, leurs deux faces sont polies. Le stylet que tu vois est l’œuvre d’un dieu, son corps est fait d’électrum et son extrémité, de cristal divin. Il s’adaptera à ta main et te permettra de graver la pierre comme s’il s’agissait d’argile fraîche. Sur deux colonnes, tu écriras au recto. Sur deux colonnes, tu écriras au verso. Ne t’écarte pas de mes mots et de ma parole!
Il y eut une pause, et je touchai l’une des pierres. Sa surface était douce comme une peau. Je saisis le stylet sacré. Il était aussi léger qu’une plume.
Alors le grand dieu Enki se mit à parler et je commençai à écrire ses mots, exactement comme il les avait prononcés. Parfois sa voix était forte, parfois on aurait dit un murmure. Parfois elle était teintée de joie ou de fierté, parfois de douleur ou d’amertume. Ayant terminé de graver l’une des tablettes sur ses deux faces, je poursuivis sur la suivante.
Lorsque les derniers mots furent prononcés, le grand dieu marqua une pause et j’entendis un long soupir. Il dit:
– Endubsar mon serviteur, pendant quarante heures et quarante nuits tu écrivis mes mots avec fidélité. Ta mission est terminée. Prend une autre tablette, sur laquelle tu rédigeras ta propre attestation et appliqueras ton sceau. Prends cette tablette et place-la avec les autres dans le coffre divin. Un jour, viendront ici des élus, qui découvriront le coffre et les tablettes et apprendront tout ce que je t’ai dicté. Que la véritable histoire du Commencement, des Temps Premiers, des Temps Anciens et de la Grande Calamité soit désormais connue sous le nom de « Paroles du Seigneur Enki ». Cet ouvrage témoignera du passé tout en prédisant l’avenir, car dans le passé repose l’avenir et les premiers seront les derniers.
Il y eut une pause, puis je pris les tablettes et les plaçai une par une dans le coffre, dans le bon ordre. Le coffre était fait de bois d’acacia orné d’or.
La voix de mon seigneur s’éleva:
– Maintenant, ferme le couvercle du coffre et verrouille-le.
Je m’exécutai.
Il y eut une autre pause.
– Endubsar, tu as conversé avec un grand dieu, et bien que tu ne m’aies pas vu, tu as été en ma présence. Tu es donc béni, et tu seras mon porte-parole auprès du peuple. Tu dois l’encourager à être juste, car c’est le chemin qui mène à une vie bonne et longue. Et tu dois le rassurer, car dans soixante-dix ans les villes seront reconstruites et les cultures surgiront de terre à nouveau. Il y aura des périodes de paix, mais aussi de guerre. De nouvelles nations deviendront puissantes, des royaumes apparaîtront
et disparaîtront. Les anciens dieux s’écarteront et de nouveaux dieux régiront le sort. Mais à la fin des temps le Destin prévaudra, et ce futur est prédit dans mes mots sur le passé. Tout cela, Endubsar, tu dois le dire au peuple.
Il y eut une pause et un silence. Puis moi, Endubsar, m’inclinai jusqu’au sol et dis:
– Mais comment saurai-je quoi dire?
Et la voix du seigneur Enki répondit:
– Les signes seront dans les cieux, et les mots à prononcer te viendront en rêve ou en vision. Et après toi viendront d’autres prophètes élus. Et à la fin il y aura une nouvelle Terre et de nouveaux cieux, et de prophètes nous n’aurons plus besoin.
Puis ce fut le silence. Les auras s’étaient éteintes, et l’esprit m’avait quitté. Lorsque je repris mes sens, je me trouvais dans les champs à l’extérieur d’Eridu.
Sceau d’Endubsar, maître scribe
Sitchin Zecharia
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