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Affichage des articles du 2014

LA TROUEE

                          CONTES TRAGIQUES LA TROUÉE J'ai eu le plaisir de dîner cette semaine avec un honorable passementier qui était à Buzenval. C'est un homme presque chauve, très loquace et d'humeur joyeuse, le type du bourgeois tel que nous l'ont dépeint les physiologistes de 1830, tel qu'on le retrouve encore dans certains quartiers excentriques, et non haussmannisés. Ils avaient beaucoup de bon, ces véritables enfants du vieux Paris, entêtés pour les routines, mais fidèles aux traditions naïves et colorées, comme à leurs vieilles enseignes, et gardant ce qu'on nomme aujourd'hui les préjugés de la famille et de la patrie avec cette pointe de gouaillerie qui témoigne du terroir voltairien. Voilà bien, en effet, cette race si fière du vin de ses coteaux; la seule de l'univers qui ait pu inventer de trinquer en heurtant les verres, de chanter au dessert, de faire des calembours, de dénouer sous la table la jarretière de la mariée et de co

LE RECIT DU CHIRURGIEN

                          CONTES TRAGIQUES LE RÉCIT DU CHIRURGIEN — J'étais allé faire à Angers une opération chirurgicale extrêmement intéressante, l'un de ces cas qui ne se présentent à nos malheureux bistouris que cinq ou six fois par siècle, et vous me permettrez bien d'ajouter que je m'étais assez bien tiré de l'un des problèmes les plus ardus de l'art d'Ambroise Paré. Il s'agissait de … mais vous êtes profane, laissons. Ce n'est d'ailleurs que pour vous dire combien je me sentais en forme. Il en est de cela dans notre partie comme dans la vôtre; les Doyen, les Pozzi, tous les maîtres vous diront que la réussite exalte nos énergies, développe nos dons et assure notre science. Le succès est le père du génie. «A mon arrivée, vers cinq heures du matin, je trouvai ma chère femme debout et fort anxieuse. Elle me tendit tout de suite une lettre, venue à minuit, me dit-elle, et qui, quoique toute simple d'aspect et ordinaire, lui fa

UNE FEMME LIBRE

                        CONTES TRAGIQUES UNE FEMME LIBRE «A la jonction de l'Arve et du Rhône, sous Genève, les eaux, toujours bouillonnantes et grossies encore par une fonte de nos neiges alpestres, ont rejeté sur la rive est, entre les vignes, le cadavre du docteur Max Ozal, l'étrange négateur de l'amour, et dévoilé de la sorte le mystère de sa disparition. Ce qui rend ici le suicide incompréhensible, c'est que le corps athlétique du médecin était étroitement uni, disons-le, bouche à bouche, à celui d'une jeune fille, d'ailleurs inconnue dans la ville de Calvin et que les autorités consulaires n'ont pas identifiée à l'heure où nous mettons sous presse. Nous aimerions à croire pour l'honneur de la science helvétique, dont Max Ozal était comme un autre Zimmermann, que le drame s'explique par un de ces accidents de montagne que la Suisse, grâce à Dieu, n'a pas en privilège.» ( Le Léman. ) Dernière heure. —«Nous apprenons que la jeune f
LES CHEMISES SANGLANTES J'ignore si depuis 1886, année de mon excursion en Corse, Sartène s'est hausmanisée, et même humanisée, mais elle était alors la citadelle de la vendetta. Il y a des villes blondes, et des rousses, Sartène est brune. De ses maisons en terrasses, échelonnées, comme des chèvres, au versant de l'Incudine, la vue plane et plonge sur la vallée de Figari, la Tempé corse, vaste vignoble onduleux, violet en septembre, brodé et ourlé d'or où l'on presse certain vin, essence de soleil, dont un seul verre abat son homme. C'est non loin de là, sur la route de Bonifacio que, dans l'ombre du mont Quiéta, le bien nommé, se cache, sous les pins ombellifères, un monastère blanc sans moines, désert, distillerie aérienne d'aromates, où j'ai laissé l'un des rêves de ma vie, le rêve de «quiétude». Lorsque nous le découvrîmes, mes compagnons de route et moi, au hasard d'une chevauchée, d'ailleurs asinesque, à travers les lianes

LES CHEMISES SANGLANTES

                          CONTES TRAGIQUES LES CHEMISES SANGLANTES J'ignore si depuis 1886, année de mon excursion en Corse, Sartène s'est hausmanisée, et même humanisée, mais elle était alors la citadelle de la vendetta. Il y a des villes blondes, et des rousses, Sartène est brune. De ses maisons en terrasses, échelonnées, comme des chèvres, au versant de l'Incudine, la vue plane et plonge sur la vallée de Figari, la Tempé corse, vaste vignoble onduleux, violet en septembre, brodé et ourlé d'or où l'on presse certain vin, essence de soleil, dont un seul verre abat son homme. C'est non loin de là, sur la route de Bonifacio que, dans l'ombre du mont Quiéta, le bien nommé, se cache, sous les pins ombellifères, un monastère blanc sans moines, désert, distillerie aérienne d'aromates, où j'ai laissé l'un des rêves de ma vie, le rêve de «quiétude». Lorsque nous le découvrîmes, mes compagnons de route et moi, au hasard d'une chevauché

L HORREUR HUMAINE

                             CONTES TRAGIQUES L'HORREUR HUMAINE Ils débouchèrent dans des bois dans le village. Sur un brancard d'ambulance, quatre d'entre eux portaient le cadavre de l'officier qu'ils déposèrent sur la dalle de la fontaine, au centre de la place, à mi-côte devant l'église, où leur major lui lava les cheveux et la barbe, rouges de sang. La balle du franc-tireur s'était logée en plein front, comme dans un carton de cible. Le coup décelait l'embuscade mais ne signait pas le fusil. Les Bavarois avaient battu futaies, haies et fourrés, et ils n'avaient trouvé personne. Or, ni en 1792, ni en 1815, ni en 1870, les armées invasionnaires n'ont jamais accordé vertu belligérante aux  Freyschütz , et l'Allemagne ne les admet qu'en opéra, la paix régnante. En guerre, elle les fusille. M. le curé parut sous le portail. Il était vêtu de l'aube et de l'étole. Il s'avança, suivi de femmes et d'enfants, vers